Chapitre 16
On dirait que le Père Noël a un peu abusé de la boisson, me dis-je en passant devant la foule bigarrée qui faisait la queue pour se faire prendre en photo avec Papa Noël. Vu la situation, je n’aurais pas craché sur une gorgée ou deux de gin tonic, moi non plus.
Tate resserra son bras autour de moi. J’avais encore du mal à ne pas le repousser, mais j’y parvins tout de même. Je me blottis contre lui et souris. N’étions-nous pas l’image du parfait petit couple ?
— Tu es si belle, murmura Tate en frottant son visage contre ma joue.
Il fit glisser sa bouche jusqu’à la mienne.
Dans mon boulot, embrasser des morts-vivants était une procédure standard. Quand on jouait le rôle d’une fille chaude essayant de s’isoler avec un homme, c’était le comportement attendu. Mais Tate n’était ni une cible ni un inconnu, et il n’était pas destiné à mourir avant la fin de la soirée.
Sauf, bien sûr, si Bones perdait son calme et le tuait au beau milieu de l’opération.
La bouche de Tate était fraîche, mais le contact de ma peau la réchauffait. Il embrassait plutôt bien, d’ailleurs, ne pus-je m’empêcher de remarquer, même s’il n’abusait pas de la situation et s’abstenait de mettre la langue. J’essayai de ne pas m’appesantir sur le fait que j’étais en train d’embrasser mon ami. Je me répétais que c’était une mission comme les autres, mais en vain.
Je reculai, un peu trop brusquement pour une prétendue fiancée.
— Euh… je voudrais de la barbe à papa, bredouillai-je.
Tate baissa la tête pour me murmurer un mot à l’oreille.
— Trouillarde.
Il avait raison. Sur n’importe quelle autre mission, je n’aurais eu aucun remords à jouer les amoureuses. J’aurais passé ma langue sur ses canines, ou je lui aurais même empoigné les fesses pour donner une touche plus authentique à mes actes. Mais il s’agissait de Tate, et mon objectivité habituelle n’était plus de mise. J’étais impliquée personnellement, sans compter que je m’attendais d’une minute à l’autre à voir Bones bondir hors de sa cachette pour lui arracher la tête.
Sur ce point, Vlad avait vu juste. Personne ne croirait jamais que Bones tolérerait que je me promène dans une fête foraine au bras d’un homme qu’il détestait.
Au-dessus de nous, des enfants criaient de joie alors que le Chapelier fou les faisait tourner de plus en plus vite. Sur notre gauche, d’autres enfants prenaient le même plaisir sur un manège. Si l’on ajoutait à cela les autres attractions, les innombrables conversations de la foule, les chants de Noël crachés par les haut-parleurs et les grincements métalliques des machines, nous naviguions au beau milieu d’un chaos sonore ininterrompu.
Quelque part au milieu de la fête, selon Vlad, se trouvait Anthony, l’un des hommes de main de Patra. Anthony avait un faible pour les fêtes foraines de Noël. Au point qu’il ne pouvait s’empêcher de s’y rendre, même en période de guerre. En même temps, tout le monde pensait que les enlèvements, les traîtrises, les filatures ou les assassinats n’arrivaient qu’aux autres. J’avais moi-même ce travers. Je n’aurais jamais imaginé que Max se trouverait en embuscade chez ma mère. Qui étais-je pour jeter la pierre à Anthony, qui songeait sans doute que personne ne saurait à quelle fête il avait décidé de se rendre ce soir-là ?
D’ailleurs, Anthony ne viendrait peut-être pas, peut-être que tout cela n’était qu’une blague que Vlad avait concoctée à l’intention de Bones. Ce dernier n’était guère enthousiaste à l’idée que je joue la petite amie de Tate, c’était le moins qu’on puisse dire. Il avait marmonné une rafale d’injures qui m’avait surprise moi-même, puis avait lancé à Tate quelque chose du genre « On dirait que c’est déjà Noël pour toi, branleur ! » après avoir finalement admis que la ruse était sans faille.
Bien entendu, les intentions de Vlad étaient peut-être plus sombres. Mencheres ne semblait pas penser que Vlad voulait nous piéger. Bones non plus, d’ailleurs, sinon je n’aurais pas été là, mais j’avais du mal à accorder toute ma confiance à un vampire qui détestait Bones aussi ouvertement.
— Concentre-toi sur ton objectif, marmonnai-je à Tate en évitant de croiser son regard.
Il ricana.
— C’est ce que je fais.
Sa réponse me fit m’arrêter net. Tate et moi n’étions plus jamais seuls ; la mission de ce soir était une exception, le moment idéal pour régler certaines questions.
— Écoute ? Tate, il faut que tu surmontes ce… truc que tu éprouves pour moi. Cela affecte notre amitié, et tu risques ta vie chaque fois que tu en parles devant Bones.
Tate se rapprocha de moi et baissa la voix, même si cette précaution ne servait pas à grand-chose dans le vacarme ambiant. Pour entendre notre conversation, un vampire aurait dû se tenir à quelques mètres de nous.
— Tu sais pourquoi je n’ai pas l’intention de taire les sentiments que j’ai pour toi ? Parce que je n’ai rien dit pendant des années. Nous étions amis, mais j’espérais qu’avec le temps notre relation prendrait un tour différent. Je ne compte pas refaire l’erreur d’hésiter alors que je devrais me jeter à l’eau. Je m’en fiche que cela mette le Gardien de la Crypte en rogne ou que cela t’embarrasse. Je ne ferai plus jamais semblant de vouloir n’être que ton ami.
Tate se pencha et ne me laissa pas le choix. Je devais le laisser se serrer contre moi si je ne voulais pas causer une scène en essayant de me dégager.
— Ne me dis pas que cette idée ne t’a jamais traversé l’esprit, souffla-t-il tout bas. Je me souviens de la nuit où nous nous sommes embrassés, avant que Bones revienne dans ta vie. Ce jour-là, tu ne m’as pas traité comme un simple ami.
Évidemment, il fallait qu’il remette ça sur le tapis, me dis-je, en proie à un mélange d’énervement et de gêne. L’abus d’alcool et la solitude étaient la cause de ce baiser qui n’aurait jamais dû avoir lieu.
— Tu es attirant, et je suis dotée d’un cœur qui bat. Ouais, ça m’a traversé l’esprit une ou deux fois. Mais c’était avant le retour de Bones. Sincèrement, cela ne s’est pas reproduit depuis.
— Il y a des jours où je déteste Don, cracha Tate.
J’étais perdue.
— Qu’est-ce que mon oncle vient faire là-dedans ?
— Don savait ce que tu étais depuis le jour de ta naissance, et je l’ai connu trois ans avant de te rencontrer. Trois ans, Cat. Cette pensée me tourmente. Si seulement Don était venu te chercher six mois plus tôt, c’est moi que tu aurais rencontré en premier, pas Bones. On s’entend bien, je te plais, et comme nous faisons le même métier, j’aurais été l’homme idéal pour toi. Tu serais tombée amoureuse de moi plutôt que de te jeter dans les bras de Bones.
J’étais abasourdie d’apprendre à quel point cette histoire le travaillait. Et le pire, c’était que si j’avais rencontré Tate avant Bones, il était en effet plus que probable que j’aurais fini par sortir avec lui. Je ne saurais dire si je serais tombée amoureuse de lui, mais il avait tous les attributs requis pour faire un petit ami plus que potable.
— Ou bien j’aurais été tuée lors de ma première mission, ce qui est un scénario plus probable, car si je t’avais rencontré le premier, je n’aurais pas suivi l’entraînement de Bones. Et même si tout s’était déroulé comme tu l’as décrit, ça n’aurait de toute façon pas marché entre nous.
— Pourquoi ? demanda Tate d’une voix âpre.
— Bones aurait été engagé pour me tuer. On lui a proposé un contrat sur ma tête pendant les années où nous étions séparés, parce que le monde des morts-vivants n’était pas au courant de notre relation. Donc soit Bones m’aurait tuée, soit il aurait été intrigué par ma nature hybride et il m’aurait capturée, comme il l’a fait lorsque nous nous sommes rencontrés. D’une manière ou d’une autre, c’en aurait été fini de toi et moi. Il arrive que deux personnes ne soient pas faites pour être ensemble.
— Je n’y crois pas, s’entêta-t-il.
Ne jamais abandonner, même lorsque les chances de victoire sont infimes. C’était ce qui faisait de Tate un si bon soldat, mais, dans le cas présent, cela le poussait à s’accrocher à un sentiment qu’il aurait dû enterrer depuis longtemps.
— Ce ne sera pas toujours comme ça, répondis-je enfin. Un jour, tu rencontreras une femme qui te fera comprendre que ce que tu ressens pour moi n’est qu’une illusion. Et lorsque ce jour arrivera, je serai heureuse pour toi.
Tate remua la tête.
— Ou tu te rendras compte que Bones n’est pas l’homme que tu croyais, et tu le quitteras. Admets-le, Cat, tu le connais à peine.
— Je connais à peine Bones ? répétai-je. Tu plaisantes, ou quoi ?
— Il a presque deux cent cinquante ans, et, en tout, cela ne fait même pas un an que tu le fréquentes, rétorqua Tate d’un ton catégorique.
— Je sais ce qui est important, dis-je d’une voix dure, piquée au vif.
— Ou tu es aveuglée par tes sentiments. Bones est un ancien pro, Cat. Cela fait des siècles qu’il pratique l’art de la séduction. Annette m’a raconté des choses sur lui, et j’avoue que parfois je ne sais si je dois lui planter une lame dans le cœur ou lui serrer la main. Quand on a eu le genre de vie qu’il a eu, on ne se réveille pas un beau matin en changeant du tout au tout pour devenir l’homme d’une seule femme.
La voix de Tate se fit plus rauque et plus douce, et il se tourna jusqu’à ce que son visage soit en face du mien.
— Moi, je suis à tes côtés depuis bientôt cinq ans. Tu sais que tu peux me faire confiance. Tu sais que jamais je ne te mentirais ni ne te tromperais, mais lui, tu peux être sûre qu’il le fera. Peut-être pas aujourd’hui, peut-être pas demain, mais ça arrivera. Et ce jour-là, tu le quitteras. Et moi, je serai là, j’attendrai.
Cette conversation n’allait nulle part. Dire que j’avais voulu lui faire entendre raison à propos de notre amitié. Je lui jetai un regard exaspéré tout en plaquant un sourire hypocrite sur mes lèvres avant de reprendre la route vers le comptoir du marchand de barbes à papa. Je n’y trouverais pas de gin, mais je pourrais au moins me rabattre sur le sucre en attendant de voir si Anthony allait se montrer.
Trois barbes à papa et deux tours de grande roue plus tard – la grande roue avait l’avantage d’offrir une vue imprenable –, Anthony n’avait toujours pas donné le moindre signe de vie. Pas plus qu’aucun autre vampire à part Tate. Il était 22 heures passées, et la plupart des jeunes enfants étaient déjà partis. Le Père Noël perdait de son entrain à mesure que le temps passait. Il comptait certainement les minutes qui le séparaient de minuit, heure de fermeture de la fête.
Tate et moi n’avions pas beaucoup parlé depuis notre dispute. Nous continuions notre numéro d’amoureux transis. Tate joua au tir aux pigeons, à la grande désolation du forain qui tenait le stand, car entre son entraînement militaire et ses nouvelles capacités de vampire, il mit dans le mille chaque fois. Résultat : je me retrouvais avec un énorme ours polaire en peluche sur les bras.
Cela ne faisait aucun doute. À nous voir, personne ne penserait que nous étions là pour traquer des vampires.
Je fus donc surprise lorsque Tate me fit soudain tourner sur moi-même pour m’embrasser avec la fougue d’un condamné à mort. Mes protestations étouffées s’arrêtèrent net lorsqu’il murmura : « Il est là ».
Je lâchai l’ours polaire pour passer mes bras autour du cou de Tate et l’embrassai moi aussi avec ferveur tout en scrutant les alentours, tous mes sens en éveil. Là-bas. À une cinquantaine de mètres, un crépitement de puissance inhumaine flottait dans l’air. C’est gentil de ta part de venir enfin jouer avec nous, Anthony. À moins que cela soit un autre vampire qui avait décidé de s’offrir un petit cadeau de Noël avec un peu d’avance. Ce serait bien notre veine.
Le courant de puissance se rapprocha. L’inconnu avait dû détecter Tate, lui aussi, car il se dirigeait droit sur nous.
Je mis un peu plus de fougue dans mon baiser. Tate grogna et resserra encore ses bras autour de moi. Entre son étreinte et la violence de son baiser, j’étais à bout de souffle lorsqu’il releva enfin la tête.
Le vampire n’était plus qu’à quelques mètres de nous. Tate opta pour une approche directe : il le regarda droit dans les yeux et laissa une infime lueur verte percer derrière son regard bleu marine.
— Qu’est-ce que tu veux ?
Je me retournai… et clignai des yeux. C’était ça, le vampire que nous étions censés appréhender ?
Il avait le visage d’un enfant de quatorze ans, de grands yeux noisette, des cheveux noirs et bouclés, un nez relativement proéminent et une carrure chétive qui accentuait encore sa jeunesse apparente.
— C’est la première fois que je te vois, dit le vampire.
Sa voix était plus en accord avec son aura. S’il semblait trop jeune pour voir un film interdit aux moins de seize ans, sa puissance trahissait son âge véritable, qui devait être au moins de deux cents ans.
Tate me laissa reculer légèrement, mais il laissa son bras autour de mes épaules.
— Et pourquoi est-ce que tu m’aurais déjà vu ?
Le vampire sourit, ce qui révéla ses fossettes. Bon Dieu, cela lui donnait l’air encore plus jeune.
— Parce que je connais beaucoup de gens de notre… communauté. Mais pas toi.
Tate adressa un sourire glacial au vampire.
— Je suis nouveau, en quelque sorte. Je m’appelle Tate.
Le vampire inclina la tête.
— À qui appartiens-tu ?
— À un trou du cul, répondit Tate du tac au tac.
Je me retins de le frapper.
Le vampire laissa échapper un rire sec qui ne collait pas du tout avec son apparence juvénile.
— Comme nous tous. Je suis Anthony.
Dans le mille ! m’écriai-je mentalement. J’espérais qu’Anthony n’était pas lui aussi télépathe, car si c’était le cas nous étions fichus, même si Bones m’avait assuré que peu de vampires étaient dotés de ce pouvoir.
— Tu n’as pas répondu à ma question, dit Anthony sans se départir de son sourire.
Tate leva les yeux au ciel.
— Pourquoi je le ferais ? Je ne suis pas là pour chasser, je profite juste des attractions avec ma copine.
— Je vais te donner un conseil, fiston, dit Anthony. (Si quelqu’un avait été assez près pour entendre notre conversation, il aurait trouvé étrange de voir un adolescent appeler Tate « fiston ».) La règle est la suivante : quand tu croises l’un d’entre nous, tu dois te présenter en mentionnant le nom de la personne à qui tu appartiens. Sinon, quelqu’un pourrait s’énerver et décider de t’apprendre les bonnes manières.
— Bones. (Tate attendit quelques secondes avant de répéter dans un murmure :) Trou du cul.
D’accord, cela faisait partie du rôle qu’il jouait, mais je savais pertinemment qu’il le pensait, ce qui me donnait vraiment envie de le frapper.
Anthony regarda autour de nous, si rapidement que je fie m’en serais pas aperçue si je n’avais pas été attentive au moindre de ses mouvements.
— Tu es ce Tate-là, murmura-t-il.
Tate croisa les bras.
— Ce n’est pas ton tour maintenant ?
Le sourire d’Anthony se fit provocateur.
— Patra, dit-il en guettant la réaction de Tate.
Ce dernier regarda autour de lui avec plus d’attention. Je m’agitai moi aussi en feignant d’être troublée.
— De quoi est-ce que vous parlez ? demandai-je.
— Ne t’inquiète pas pour ça, bébé, répondit Tate en resserrant son étreinte pour me rassurer. Anthony, euh, travaille pour une concurrente de mon patron, et ils sont en rivalité sur un même contrat. Entre nous, si c’est sa patronne qui gagne, ça ne me fera rien du tout.
Anthony haussa un sourcil.
— Vraiment ? C’est téméraire de parler ainsi de ton… patron devant un étranger.
— Disons simplement que j’ai déjà eu l’occasion d’aider ta patronne, dit Tate, mais que je ne l’ai pas saisie, et maintenant je regrette de ne pas l’avoir fait, vu ce que ça m’a rapporté.
Sa décontraction avait cédé la place à une méfiance manifeste.
Anthony avait dû apprendre le rôle que Tate avait joué chez Mencheres le soir où la maison de ce dernier avait explosé, car il hocha la tête.
— Et si tu pouvais rattraper ton erreur ? Je sais que ma patronne serait très intéressée par les informations qu’un… espion infiltré pourrait lui procurer.
Tate sourit.
— Et qu’est-ce que ta patronne me donnerait en échange ? C’est que j’aurais besoin d’argent et d’une protection adaptée.
Anthony fit un geste de la main.
— Tu n’imagines pas combien mon employeuse se montre généreuse avec ceux qui la servent.
J’ai mon idée là-dessus, me dis-je avec cynisme. À moins, bien sûr, que tu fasses allusion aux gens qui obéissent à Patra parce qu’elle menace de tuer leurs proches s’ils refusent.
— C’est vraiment le moment de parler affaires ? demandai-je d’une voix volontairement suggestive.
Anthony parut alors seulement me remarquer. Il m’étudia d’un regard appuyé qui n’avait rien à voir avec celui d’un garçon prépubère. Sa première réaction, typique d’un vampire, avait été de m’ignorer parce que j’avais un pouls.
— Comment s’appelle ton amie, Tate ?
— Kathleen, dit-il, utilisant mon second prénom. Elle est magnifique, non ?
— En effet, acquiesça Anthony en s’approchant, les yeux étincelants. Mais cette allure, ces cheveux roux, et ce cœur qui bat, ça me rappelle quelqu’un dont j’ai entendu parler.
Il y avait une note de défi dans sa voix, manifestement à dessein. J’adressai à Anthony un regard aussi innocent que possible.
— J’aime bien les jeux de rôle, répondit Tate d’un ton énervé. J’ai demandé à Kathleen de se teindre les cheveux et de porter des lentilles de contact. Ça te pose un problème ?
D’un mouvement de bras ultra-rapide, Anthony abaissa violemment mon jean pour examiner ma hanche gauche, puis la droite. Il ne vit rien d’autre qu’une peau lisse et vierge.
Tate se crispa et je dissimulai un sourire. Eh oui, mon pote ! Plus de tatouage. Ça m’a fait un mal de chien quand Max l’a découpé, mais tu n’avais aucun moyen de le savoir, et maintenant sa disparition tombe à pic.
— Touche-la encore une fois et je mettrai un terme à la discussion, grogna Tate.
Anthony parut se détendre.
— Elle ressemble vraiment à la véritable Faucheuse ?
Tate haussa les épaules.
— Assez pour qu’on s’y laisse prendre.
J’avais fait teindre mes cheveux pour leur redonner leur couleur rousse naturelle, mais aussi pour qu’ils aient l’odeur de la teinture, et je portais des lentilles parsemées de points bleus. Juste assez pour camoufler mon regard gris pur. De plus, j’avais assombri ma peau grâce à une lotion autobronzante qui cachait sa luminescence habituelle. L’idée était de Vlad. Drac ne manquait pas de ressources.
Jusqu’ici, l’illusion fonctionnait. Anthony ne s’était pas enfui à toutes jambes et ne nous avait pas attaqués.
— Il faut vraiment que tu parles de l’autre fille ? dis-je en faisant une moue boudeuse.
Tate m’embrassa sur les cheveux.
— C’est fini, bébé.
— On peut rentrer alors ? demandai-je sans me départir de ma moue.
Tate me regarda ave un sourire indulgent.
— J’ai un petit truc à régler, et ensuite je suis tout à toi.
Anthony se passa la langue sur les lèvres.
— Parfait. Je vais te présenter à mon supérieur, Hykso, qui finalisera notre transaction. Je vais aller garer ma voiture derrière. On se fera moins remarquer.
— Je ne crois pas, mon ami, dit Tate d’un ton badin mais sans appel. Tu pourrais changer d’avis et impliquer d’autres personnes dans nos affaires, et je n’ai pas envie de finir la soirée six pieds sous terre.
Anthony parvint à feindre d’être offensé.
— Une telle idée ne m’a jamais traversé l’esprit.
Tate sourit, intraitable.
— Dans ce cas, on part maintenant, ensemble.
Anthony se mordit la lèvre inférieure sans dévoiler ses canines. Ce geste était si juvénile qu’il aurait pu passer pour l’un des gamins qui faisaient la queue pour se faire photographier avec le Père Noël. Il regarda la foule autour de nous, indécis. Peut-être déplorait-il par anticipation le manque de discrétion qui allait entourer notre départ, ou bien était-il agité par des regrets plus sinistres.
Je voulais avoir l’occasion de coincer le supérieur d’Anthony. Plus notre homme serait haut placé dans la hiérarchie de Patra, meilleurs seraient les résultats de notre soirée.
— Même si on ne part pas avec lui, je veux quand même qu’on s’en aille, murmurai-je en me frottant contre Tate d’une manière qui ne laissait aucun doute sur mes intentions.
— Tu as cinq secondes avant qu’elle me fasse changer d’avis, dit Tate à Anthony puis il m’embrassa avec une fougue si brutale qu’elle ne pouvait être feinte.
— D’accord, allons-y, répondit Anthony.
Tate décolla lentement ses lèvres des miennes. Une lueur verte tourbillonnait dans ses yeux. Ma bouche était un peu enflée après la violence de son baiser, et j’étais légèrement à bout de souffle.
— Allons-y dès ce soir, répéta Anthony avec agacement en se taillant un chemin dans la foule à coups d’épaule, avec le sans-gêne d’un vampire qui a d’autres chats à fouetter.